Précis hors-norme de régulation des pulsions

12 NOVEMBRE 2017

Après les séances individuelles du jeudi matin, je reconduis dans leur école les enfants du SESSAD. Ce moment de transition est délicat. Les enfants se retrouvent entre eux. Les pulsions se libèrent en miroir, ils se coursent, se cachent, se cherchent, se provoquent, s’insultent, et parfois se tapent. L’excès de jouissance prend le dessus sur le plaisir d’être ensemble.

Pour les entraîner dans mon sillage, je me déleste de toute volonté éducative : ne rien leur vouloir est le meilleur moyen d’obtenir d’eux quelque chose, – et je mets en veilleuse mes propres pulsions : j’entends sans écouter ; je vois sans regarder ; je parle sans demander. Mon corps se met en mouvement sur le mode de la hâte de l’homme pressé par son désir : conduire les enfants sous transfert, en bordant les corps et la langue, dans le respect de leurs positions subjectives.

J’ai fixé arbitrairement l’horaire de départ à 11:39. Une exactitude hors sens. À l’instant du départ, je répète à la cantonade dans le couloir « 11h39 ! En voiture ! Allez, on y va ! » Juste un œil et une oreille distraits sur ce qui se passe autour de moi, pas-tout accaparé par les enfants, le corps en mouvement, déjà hors de leur champ de vision, mais toujours présent par la voix, je sors du local.

La montée dans la voiture est ritualisée. La prévalence du réel chez Arthur due à son autisme le place devant, à l’abri des autres jeunes. Nadia et Valentin, agités par les pulsions pubertaires naissantes, se retrouvent à l’arrière. Installé au volant de la Twingo pulsionnelle, l’homme pressé démarre sans attendre. Pas question de s’attarder. Déjà l’alarme des ceintures de sécurité se déclenche, mais prononcer simplement le signifiant ceinture suffit aux jeunes, dans une langue fleurie que je ne relève pas, à la faire taire.

L’exiguïté de l’habitacle pousse à la jouissance les deux adolescents qui s’agitent dans des débordements crescendo. Obligé d’intervenir, je déclare qu’on ne peut pas être quatre dans une voiture sans se donner des règles. Le regard vissé sur la route, j’en énonce trois. « Premièrement, on ne se regarde pas. » Des Ouh là là ! d’étonnement fusent. « Moi je regarde dehors ! Moi je regarde Arthur ! ». « Deuxièmement, on ne se touche pas. » Les Ouh là là ! redoublent d’intensité en même temps que circulent des doigts sur mes épaules et sur ma tête. « Troisièmement, on se parle, mais si on dit des méchancetés, on les dit sans faire trop de mal. »

L’effet de surprise de cette autorisation conditionnée à une limite se manifeste par un silence de courte durée. L’agitation reprend car la pulsion est une force irrépressible toujours en infraction avec la norme. Mais à présent, elle est pour partie tempérée par le déplacement de l’objet regard et tactile, et par la sublimation autorisée dans le jeu langagier dont les jeunes s’emparent avec invention.

Christophe Balguerie
Psychologue Clinicien – Psychanalyste à Nantes

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Quand « ça ne va pas »